La rentrée scolaire m'emmerde. Pas "humainement", oh non : c'est un moment important pour les enfants et de ce fait, important pour nous, en tant que parents. Il me semble donc logique de veiller à ce que la rentrée se déroule dans des conditions optimales pour eux, tant sur le plan personnel que logistique. Et c'est justement ça qui m'emmerde : la logistique. L'organisation financière et matérielle de la rentrée scolaire est un casse-tête que la grande distribution et les pouvoirs publics veillent à rendre aussi insoluble que possible.
Pour compenser cet état de fait et nous permettre (aux enfants et à nous) de vivre cette période sans inquiétude et sans heurts, je suis donc devenue schizo de la rentrée : onctueuse en surface, complètement psychorigide à l'intérieur. J'ai deux enfants, qui ont respectivement 13 ans et demi et 12 ans. Si j'additionne, j'ai vécu avec eux environ 18 rentrées scolaires. J'ai donc eu tout loisir de perfectionner le schéma mental, organisationnel et financier me permettant de survivre sans péter un plomb à cette période maudite.
Le pognon pour la rentrée : ça dépend si on est pauvre ou pauvre (ou très pauvre)
J'ai connu deux années, deux paradisiaques et formidables années, où j'ai gagné confortablement ma vie. Ca veut dire quoi "confortablement" ? Pour moi c'est simple : la richesse financière, ça signifie que placée dans un supermarché aux rayons des yaourts, je me sens libre de mettre n'importe lesquels dans mon caddie, sans flipper. Oui, même ceux avec l'emballage bizarre, là, à plus de 2 € les deux, recouverts de coulis machin et avec une mousse de truc. Ensuite, je prends mon caddie, je vais au rayon boucherie (à la coupe), et je demande sans aucun stress du faux-filet (à 16 ou 17 € le kilo), pour quatre personnes. Des tranches épaisses, merci. Mmmm, un petit peu plus épaisses, s'il vous plaît. Voilà, comme ça, c'est parfait.
Voilà. Dans mon esprit, c'est ça être riche : savourer le luxe incomparable de remplir son caddie et d'avoir les moyens de payer ce qu'on a mis dedans.
J'ai pu en déduire qu'il faut vraiment avoir du fric pour prétendre que "ça ne compte pas", et qu'en vérité, l'argent fait bien le bonheur. À tous ceux qui m'objecteront le contraire, je répondrai en citant Jules Renard : "Si l'argent ne fait pas le bonheur, rendez-le" (et vous pouvez me le rendre à moi directement, j'accepte les virements et le cash).
En dehors de ces deux années mémorables, j'ai toujours préparé la rentrée scolaire dans un timing nerveux, plein d'appréhension (y compris cette année, où ma baisse de revenus n'a pas encore été enregistrée par la CAF). J'ai longtemps touché l'allocation de rentrée scolaire, un peu plus de 500 euros pour mes deux enfants cumulés, ce qui était vraiment une bonne chose, survenant hélas au mauvais moment.
En effet, cette allocation providentielle m'était versée aux alentours du 25 août (mais comme ça fait deux ans que je ne la touche plus, ça a peut-être changé depuis ? Je devrais le savoir bientôt, puisque j'y aurai à nouveau droit l'année prochaine).
Or, les achats de fournitures scolaires se déroulent en trois temps :
1. Fin juin, la liste du matériel est remise aux parents.
2. Fin juillet, les grandes surfaces mettent en rayon tous les articles de rentrée, avec un tas de promotions et prix de gros, le tout disponible dans différentes gammes de prix selon les marques. De quoi acheter au meilleur tarif.
3. Fin août, l'allocation de rentrée scolaire est versée.
Pour les gens qui n'ont pas trop de pognon, deux solutions possibles :
1. On a assez d'argent sur le compte bancaire (ou une marge suffisante dans l'autorisation de découvert) pour effectuer les achats scolaires dès le début du mois d'août, ce qui permet d'avoir le choix et d'acheter au meilleur prix, réalisant ainsi une économie non négligeable.
Quand l'argent de l'allocation arrivera, fin août, on l'utilisera donc généralement pour autre chose. Oui, la voilà en partie, l'explication de la supposée hausse des ventes d'écrans plats fin août, souvent mise sur le tapis par des commentateurs hargneux : ce ne sont pas forcément des parents indignes qui privent leurs gosses, ce sont souvent – je ne dis pas "toujours" mais "souvent" – des gens qui avaient prévu, sans être forcément riches, de remplacer leur télé et qui ont déjà "avancé" le prix de la rentrée scolaire de leurs enfants. Ce qui reste, malgré le symbole d'opulence attaché à tort à la possession d'un écran plat, un achat ne relevant pas non plus d'un train de vie évoquant caviar, putes ukrainiennes et coke non coupée.
2. On ne peut pas avancer l'argent pour les fournitures scolaires début août. On attend donc le versement de l'allocation de rentrée scolaire, et on achète les fournitures mais sans avoir vraiment le choix, les meilleurs promotions étant depuis longtemps épuisées. C'est ainsi que des gamins aux moyens réduits se retrouvent avec des cahiers Clairefontaine, que les parents ont payé la mort dans l'âme, pensant aux trois cahiers Auchan qu'ils auraient pu avoir pour le prix d'un Clairefontaine. Oh, bien sûr, les rayons sont encore bien achalandés, le 25 août... Mais rien de comparable à la marge de manœuvre qu'on a en termes de choix au moment de la première mise en rayon.
Suggestion à la CAF : verser l'allocation de rentrée scolaire fin juillet.
Les rayons rentrée scolaire a Auchan Nancy-Laxou la sapinière. Nancy, FRANCE, le 20/08/2012 (POL EMILE/SIPA)
L'organisation des achats pour la rentrée : une logistique quasi-militaire
En période de préparatifs de rentrée, j'ai toujours une pensée émue pour les parents ayant trois, quatre enfants ou plus : c'est un travail titanesque, qui doit être accompli de façon rigoureuse, tout en veillant à ce que ça reste, pour les enfants, un événement positif et convivial. Petit résumé (probablement non exhaustif) des tâches incontournables. À multiplier par le nombre d'enfants, bien sûr.
1. Faire le tri dans les armoires, commodes etc., pour savoir ce qui va encore et ce qui est trop petit : culottes, chaussettes, soutien-gorges (pour les ados), pyjamas, t-shirts à manches courtes et longues, pantalons, joggings, pulls, gilets, gants, bonnets, écharpes, vestes, manteaux, chaussures, baskets...
2. Faire la liste des articles à racheter, taille et quantité.
3. Organiser l'expédition : on peut commander par internet, sauf pour les chaussures (quoique). Dans tous les cas, l'enfant a son mot à dire sur le choix de ce qu'il porte, évidemment. Ca suppose, à un moment ou un autre, de se retrouver dans des rayons, flanqué(e) d'un gosse maussade et contrarié d'avoir été traîné jusque là, dans un magasin saturé de parents tout aussi excédés, qui supplient et menacent tour à tour pour espérer repartir avec la moitié du nécessaire prévu. Bien sûr, la galère est décuplée quand on n'a pas les moyens de faire garder les autres enfants, et qu'on doit donc tous les gérer pendant qu'on s'occupe des fournitures d'un seul. Ça vous fait rêver hein ?
4. Gérer les demandes non recevables : mon mon lapin, on ne peut pas te payer des fringues de marques. Bon, je te propose un truc : tu choisis, dans tous tes vêtements, UN truc de marque, ok ? Pareil pour l'école : UN truc siglé. Deal ? Ok, deal. Voilà, comme ça nous on peut continuer à bouffer, et toi tu peux t'intégrer socialement dans ce microcosme scolaire à la cruauté et au snobisme sans pareil, où les gosses les plus riches font office de référence et tiennent, à grands renforts de paires de Nike et de sacs Eastpak, le haut du panier social dans la cour.
5. Déballer, couper les étiquettes, laver, sécher, répartir, ranger.
6. Mettre en cartons les vêtements et accessoires trop petits et les amener à la benne de collecte pour vêtements usagés ou, si on a de la famille / des amis ayant des gosses plus petits, leur donner.
7. Répéter toutes ces étapes pour les fournitures scolaires. À multiplier, toujours et encore, par le nombre d'enfants.
8. Caler tout ça dans des journées qui sont déjà remplies par un job à plein temps. Ça vous est impossible ? Pas grave : vous y consacrerez soirées et week-ends. Rien de plus vivifiant que de se taper une virée dans une grande surface bondée, un samedi après-midi, dans l'atmosphère chaleureuse et conviviale des cris d'enfants et des glapissements excédés de parents à bout de nerfs.
Rentrée J - 4 : les préparatifs "pour de vrai"
C'est maintenant. Vous y êtes, j'y suis, nous le savons donc toutes et tous : ce week-end, tout le monde est dans les starting-blocks. Nos maisons et appartements ressembleront à un vestiaire de stade olympique à 15 minutes du départ du 100 mètres, et nos enfants seront tous des Usain Bolt en puissance. Jusqu'à mardi matin.
Et nous, on se fiche bien, dans ces moments-là, des analyses ultra-fouillées des spécialistes de l'éducation. Devant nos rejetons survoltés, prostrés, réticents, enthousiastes, grognons, impatients ou angoissés, peu nous importent les débats théoriques sur la semaine de 4 jours, les 60.000 postes supplémentaires précédemment évoqués, l'éventuel renouvellement des programmes scolaires ou le départ en retraite de Mme Schmollwirtz, qui était la pire prof d'allemand que la Terre ait jamais porté.
Non, ce qui compte, là, c'est de ne pas merder. De remplir les sacs avec les bonnes affaires de la bonne liste, de répondre pour la vingtième fois à la gamine qui demande, avec dans la voix une pointe d'angoisse mêlée de joie si on a bien mis le nouveau compas dans la pochette (le compas : ce mystère pédagogique), que oui, tout y est.
Ce qui compte aussi, malgré notre propre stress, nos comptes bancaires à sec et la projection plus ou moins consciente de nos angoisses infantiles sur la tête de nos rejetons, c'est de parvenir à générer un climat paisible, affectivement sécurisant et suffisamment "autonomisant" pour que cette période parfois délicate se déroule dans les meilleures conditions possibles pour nos gamins.
Sans se cacher qu'une fois la rentrée scolaire passée, et tout le monde sur les rails, c'est un peu nos vacances à nous qui commencent : notre progéniture ayant retrouvé son rythme (école, cantine, crèche, nounou, bus scolaire, devoirs, horaires fixes), nous pouvons reprendre le cours de notre vie, souvent mis à mal par les énormes contraintes financières et organisationnelles de l'été (avec cinq semaines de congés par an, accrochez-vous pour payer deux mois de garde d'enfants à temps plein).
À me relire, je me dis que l'énoncé de ce cauchemar apparent poussera certainement les lecteurs à me demander une fois de plus pourquoi j'ai fait des gosses, si tout est aussi cher et chiant. Mais tiens, il est 8h30, nous sommes le 31 août, c'est encore un peu les vacances et ma fille vient de se réveiller. Elle débarque dans le bureau pour me dire bonjour et me passe les bras autour du cou. Ses cheveux me chatouillent la joue. Déjà speed et folle d'impatience, elle me demande : "M'man, on prépare le sac hein, ce soir, hein, dis, hein, dis ?". Et sa bonne humeur est contagieuse. Je baigne dans un océan niais de joie parentale.
Voilà. C'est aussi pour ces moments-là qu'on fait des gosses.